Jour de chance

Bonjour à tous! Comme vous le savez peut-être, si vous me suivez sur les réseaux sociaux, je fais partie d’une masterclass de Bernard Werber. Le but de celle-ci est d’apprendre à écrire et à cultiver son imaginaire pour créer de bons récits. Ci-dessous, vous trouverez mon premier exercice: une nouvelle courte dont le thème était lié à un tirage de cartes au tarot divinatoire. Par rapport aux cartes piochées, j’ai dû écrire une histoire sur quelqu’un à qui il arrivait un événement inattendu, dont la vie serait changée et, pour lui, fort heureusement. Il serait freiné par ses valeurs et succomberait, à la fin, à ses désirs primaires. Je vous laisse découvrir le résultat et n’hésitez pas à me donner vos avis! J’ai déjà eu des retours sur la plateforme et ma nouvelle a été élue coup de coeur de la semaine!


« Monsieur ? Monsieur ? »La vieille dame agitait la main devant le visage de Cédric qui, derrière sa caisse enregistreuse, ne bougeait plus. La radio diffusée dans la petite épicerie venait de passer un message spécial. Le genre qui change votre vie de manière complètement impromptue. Cédric était saisi. Le sang venait de quitter sa tête tandis que ses doigts comprimaient le paquet de lingettes démaquillantes bon marché que la cliente tentait d’acheter. Son regard ne fixait plus rien d’autre que le petit morceau de papier blanc, scotché juste au-dessus du lecteur de code-barres, et sur lequel les six numéros qu’il avait joués la veille étaient inscrits. La voix de la speakerine, par les haut-parleurs de l’épicerie, venait d’annoncer les résultats du loto. Et, de toute évidence, Cédric venait de gagner.« Mais enfin monsieur, vous êtes en train de tordre mes lingettes ! J’en veux de nouvelles ! »Le jeune homme relisait avec frénésie les numéros du reçu. Il n’y avait aucun doute, c’était bien ceux annoncés._ Que se passe-t-il ici ? Madame, y a-t-il un problème ? »Monsieur Ponce, le directeur de l’épicerie, venait de sortir de son bureau. Cela sortit Cédric de sa torpeur. Le caissier se leva d’un coup, arracha le bout de papier scotché et partit du magasin en courant.« Reviens ! cria Monsieur Ponce. Si tu ne fais pas demi-tour tout de suite, ça va barder ! »Mais Cédric n’entendait déjà plus rien. Son cœur battait la chamade et l’euphorie venait de s’emparer de lui. Il commençait à prendre conscience de son incroyable chance et se dirigeait, au pas de course, vers le bar-tabac dans lequel il avait joué.La porte vitrée du buraliste était couverte d’autocollants de fournisseurs de cafés, d’alcool et de la Française des Jeux. Cédric l’ouvrit à la volée et passa à travers les effluves de bières et de pastis que le petit bar à l’intérieur servait. Il se posta devant le guichet des jeux à gratter. Rémi, propriétaire du bar-tabac, se tenait derrière le comptoir. À force de visites, Cédric s’était lié d’amitié avec ce grand barbu d’une quarantaine d’année, soit à peu près dix ans de plus que lui.« Hey mon ami ! s’exclama Rémi. Tu as déjà fini ta journée ? »Toujours avec ce grand sourire qui illuminait son visage, Cédric tendit, sans mot dire, le papier. Son ami le saisit d’un air sérieux et, d’un coup, se yeux devinrent ronds comme des billes. Il sourit à son tour, surement conscient de la publicité qu’il pourrait en tirer pour le bar-tabac, puis s’écria, afin que tout le monde entende :« Nous avons un gagnant ! Mon pote Cédric vient de gagner huit millions d’euros ! »Ce fut le début d’une longue succession de rendez-vous avec la Française des Jeux et d’interviews avec la presse. S’il avait fêté cet événement inouï avec ses amis du bar-tabac, les semaines d’attente avant de recevoir l’argent lui avaient permis de réfléchir à ce qu’il voulait en faire. Il décida qu’il investirait une partie pour s’acheter une maison, ainsi qu’à ses parents, et donnerait une grande partie du reste à des œuvres humanitaires. Biensûr, il avait quitté son travail de caissier à l’épicerie. C’était ce qui l’avait le plus excité. Enfin, il ne serait plus obligé d’affronter son chef, qu’il détestait, les clients désagréables, la monotonie de son travail. Le loto l’avait libéré. Maintenant, il investirait dans les projets qui le tenaient à cœur. Cependant, il se heurtait à un problème : comment investir et quelle cause choisir ?Rémi, qui connaissait plein de monde, lui avait présenté quelques représentants d’associations. Il s’était alors rendu à la Société Protectrice des Animaux où il fut sensibilisé sur les cruautés animales, à la Fondation Abbé Pierre où il avait pu parler aux sans-abris de la ville, aux Restos du Cœur pour aider à la distribution de repas aux plus démunis… Et tellement d’autres ! Le bruit de son gain au loto avait d’ailleurs si bien couru qu’il se faisait contacter sur internet par beaucoup de personnes. Bref, Cédric avait sur la table de la cuisine une dizaine de prospectus d’associations en tout genre et, dans sa boite mail, une trentaine de courriels de demande de financement.Le jeune homme était perdu. Que devait-il faire ? Il pourrait distribuer une petite partie de tout cet argent à tout le monde mais ce n’était pas ce qu’il souhaitait. Cédric désirait donner une partie significative à peu d’associations de manière à ce que son apport fasse une vraie différence.Il s’assit à sa table et étala tous les prospectus, tous plus tristes les uns que les autres. Pour lui, l’exercice était réellement compliqué. Il se retrouvait dans la situation où il devait faire une hiérarchie du mal. Qu’est-ce qui était le pire ? Les sans-abris ou la famine ? Le racisme ou les femmes battues ? Le viol ou le SIDA ? Cette situation quasi-divine de déterminer le « moindre mal » allait à l’encontre de toutes ses valeurs. Il avait reçu une éducation très altruiste. Ses parents avaient mis un point d’honneur à ce qu’il considère son prochain avec le plus grand respect. Cédric estimait que tous les maux de la société venaient du manque d’attention aux autres. Quand il avait été recruté par l’épicerie, même s’il n’avait jamais aspiré à devenir caissier, il espérait qu’il pourrait apporter un peu de bonheur aux clients, rien qu’en s’intéressant à eux. Il avait donc compris que certains étaient seuls, d’autres malades ou pauvres… Mais toutes ces personnes avaient pour point commun d’être malheureuses. Ainsi, déterminer quel mal éradiquer semblait impossible. Les enfants, chiens, personnes âgées des prospectus lui lançaient des regards suppliants, comme si chacun demandait à être choisi. Un profond malaise lui serra les entrailles.C’est alors que son téléphone sonna. C’était Rémi.« Cédric ! Avec des copains on va prendre l’apéro après la fermeture du bar. Tu viens ?Oui ! Avec plaisir ! » dit-il sans la moindre hésitation, voyant cette opportunité comme une aubaine pour se changer les idées.Cédric retrouva alors le groupe à l’heure et l’adresse que Rémi lui avait données avant de raccrocher. C’était un petit bar à la mode, avec une grande terrasse. Il fut accueilli comme un roi et tous les amis de Rémi, qu’il n’avait jamais vus, se montrèrent très amicaux. Le serveur lui apporta une carte de cocktails. Ces derniers avaient un prix exorbitant mais, désormais, il pouvait se les payer. Cédric proposa d’ailleurs de prendre la première tournée, aux grandes acclamations de ses camarades.Tout le monde s’intéressait à sa vie et chaque mot qu’il prononçait était source de rire ou d’exclamations. Quelle soirée agréable ! Après le premier cocktail, plusieurs suivirent. À la fin, Cédric, grisé par l’alcool et la gentillesse de ses nouveaux amis, paya la totalité de l’addition. Rémi proposa alors de finir la soirée en boite de nuit. Tout le monde se dirigea vers la discothèque la plus branchée de la ville. Le vigile, reconnaissant Cédric, leur fit couper la longue queue. Ils se firent offrir la meilleure table sur laquelle trônaient plusieurs bouteilles de champagne. L’un des amis secoua la bouteille et aspergea la foule avec le précieux alcool. Une véritable scène de liesse se déroulait sous les yeux de Cédric. Dès que son verre était vide, un serveur s’empressait de lui remplir. Des filles venaient pour danser avec lui et Rémi lui jetait des regards pleins de sous-entendus avec un grand sourire. Il se rendait compte de toutes les attentions qu’on lui portait. Et il aimait cela.Cédric se réveilla le lendemain, la tête douloureuse et la langue sèche. Une inconnue dévêtue dormait toujours à ses côtés. Il la contempla et se demanda s’il avait déjà passé la nuit avec une aussi jolie femme. Il enfila un caleçon et se rendit sur la pointe des pieds dans la cuisine pour boire de l’eau. Il repensa à cette soirée, peut-être la meilleure de sa vie, se doutant bien qu’il devait cela au loto… Mais, après tout, qu’importe ! Autant en profiter ! Il avait tellement d’argent que cela pourrait durer longtemps. Cette perspective le mit en joie.Les prospectus étaient toujours éparpillés sur la table. Il les ramassa et les mis en éventail pour les regarder. Qu’allait-il faire ? Après tout, c’était son argent. Il pouvait commencer par en profiter avant d’en faire autre chose… Non, il s’était résolu à investir et c’est ce qu’il ferait.« Cédric ? Tu viens ? demanda la jeune femme de la chambre. J’ai un peu froid… »La décision fut prise. Le jeune homme repartit alors d’un pas vif dans sa chambre, et, sur le passage, jeta les prospectus dans la poubelle.

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