En cette période de confinement, je me suis laissé aller à un exercice d’écriture où le cloisonnement et l’emprisonnement ressentis sont poussés à leurs extrêmes… Et tout cela du point de vue d’animaux! Cette nouvelle est aussi dans le recueil de nouvelles Histoires de Confinés, sur Amazon, et dont l’intégralité des fonds est reversée au personnel soignant de France! Faites une bonne action ICI!
Le Chat et la Souris
La Souris
Les canalisations sont mon terrain de jeu favori. De mes petites pattes, je parcours l’étroit tunnel sombre et moite, longeant le tuyau de plastique qui dessert tous les appartements de l’immeuble. Je n’y vois presque rien et ne peux me fier qu’à mon odorat, mon ouïe et mes fidèles vibrisses qui m’indiquent les changements de direction. Cela monte, descend, bifurque, en fonction des étages. Je rencontre mes congénères au gré de mes vagabondages. En réalité, toutes les souris de l’immeuble sont de filiation commune, mais nous sommes tellement nombreuses et tellement similaires qu’il nous est très difficile de nous reconnaître et, donc, de créer des liens affectifs. Je suis sûr que nous sommes plus d’une centaine à parcourir les murs du bâtiment, dans l’ignorance absolue des humains vivant dans leurs grandes pièces lumineuses. J’en ai déjà croisé et, rien qu’en m’apercevant, ils se mettent à hurler et à se percher sur une chaise. Alors, s’ils savaient ce qu’il y a derrière le mur, ce serait un sacré spectacle !
Je poursuis mon chemin dans l’obscurité. Rien à se mettre sous la dent. Mon odorat ne détecte que l’odeur de poussière et d’humidité. Un bruit assourdissant retentit soudainement. Je m’arrête et prête attention au danger potentiel. C’est en fait l’eau qui gronde dans la canalisation. Quelques gouttes coulent d’un joint. J’en profite pour faire ma toilette et m’abreuver.
Quelques minutes plus tard, je tombe sur une araignée morte, les pattes contractées et sur le dos. Ce n’est pas mon repas préféré mais faute de mieux… Je la saisis de mes deux pattes avant et la croque. Elle doit être morte depuis longtemps car il n’y a plus trop de chair. Je ne suis toujours pas sustenté !
C’est alors qu’au loin, après être reparti, mes yeux distinguent péniblement une variation de luminosité. Je sais ce que cela signifie : il y a un trou dans le mur ! J’accélère alors et arrive, enfin, vers la source de lumière. Effectivement, à cet endroit-là, la canalisation rentre dans le mur mais le trou percé pour le passage du tuyau a mal été rebouché.
En m’écrasant bien sur le sol, j’ai juste assez de place pour me faufiler. Je pénètre dans l’appartement. Un gros cube métallique me domine. Des fils et des tuyaux de plastique relient la machine au mur et à la fameuse canalisation. Je longe la base en métal. Mes griffes s’accrochent sur le vieux parquet de bois. L’appartement est dans un état de saleté grave. Je zigzague entre les moutons de poussière et les poils. Ma souricière est bien plus propre ! Il y a aussi une odeur aigre qui embaume la pièce. Mon odorat m’avertit. Il faut que je me méfie. Ces longs poils qui trainent par terre et cette odeur me sont familiers : un chat traine dans le coin.
Je m’arrête et écoute. Pas le moindre bruit, si ce n’est celui des oiseaux qui gazouillent à l’extérieur. Peut-être que le félin est parti ? Je vais continuer mon exploration tout en restant vigilant. Je me dirige vers le mur et longe la plainte de bois qui en marque la base. Malgré toute la poussière, je me rends compte de la beauté de l’appartement. Une grande lumière passe par les fenêtres et éclaire les meubles de la grande salle de vie… morte. Rien n’a bougé depuis que je suis entré et toujours aucun bruit. Pas d’humain à l’horizon et pas de chat non plus. Je me détends. Peut-être que c’est mon jour de chance ?
Je décide de quitter mon mur pour m’aventurer un peu plus. À travers l’odeur aigre, je perçois une autre senteur, plus sucrée cette fois-ci. Je me laisse guider par mon museau qui traine sur les aspérités du plancher. Je me retrouve au pied d’une table en bois, sous laquelle sont rangées des chaises en plastique. Vue de dessous, la vision de tous ces longs bras quittant le sol pour rejoindre leur base plane est effrayante. Je me blottis contre un pied et comprend la provenance de l’odeur sucrée. De petites miettes de pain sont disséminées sous la table. Surement des restes laissés par les humains. Avec précaution, j’avance vers les petits résidus, en saisis un et me mets à le grignoter.
Quel délice ! J’adore le pain bien croustillant ! Et cette table en abrite plein ! Il faut que je ramène mes frères et sœurs, nous pourrions nous faire un vrai festin ! Il y a même quelques petits bouts de sucre… pour mon plus grand plaisir !
Mon ventre est plein, et pourtant il reste plein de miettes par terre ! Cela sera pour une prochaine fois. Je vois le gros cube qui, de son unique œil rond, me regarde aussi. Il s’agit en fait d’une machine à laver. J’hésite alors à repartir ou à rester pour découvrir le reste de l’appartement. Peut-être y a-t-il d’autres trésors à découvrir ? J’observe les environs et, malgré ma mauvaise vue, constate les blocs munis de poignées qui entourent la machine. Je ne peux pas me redresser suffisamment pour voir ce qu’il y a au-dessus. Je pourrais grimper sur le mur, si la surface n’est pas lisse, pour visiter.
De l’autre côté de la pièce, le mur de crépi blanc se sépare en deux, laissant un passage vers la pièce suivante. Ma décision est prise. Les canalisations dans le mur peuvent attendre. Je me dirige vers la nouvelle pièce afin d’y débusquer de nouvelles victuailles. Il y a beaucoup plus de meubles de ce côté-ci. Un grand canapé gris fait l’angle de la pièce et encadre, en partie, une table basse noire. Je circule à travers la poussière et les poils, de plus en plus présents. Contre le mur, qui gêne ma progression, se trouve le meuble de la télévision, de la même couleur que la table basse, avec un grand écran plat dirigé vers le canapé. Je passe derrière. Les fils, comme une multitude de lianes multicolores, ralentissent mon passage. Comment une télévision si plate peut-elle avoir autant de câbles qui la relient au mur ? Tantôt j’escalade, tantôt je rampe, jusqu’à, finalement sortir de cet enchevêtrement coloré. Je me redresse sur mes pattes arrière pour observer et humer le terrain. Toujours rien à part l’odeur âcre du début.
Par curiosité, je décide d’aller explorer sous le canapé. Peut-être que quelques miettes y sont dissimulées… J’accélère et fais de petits bonds vers ma destination. Les tâches sombres et les rayures dans le bois du parquet défilent sous mon petit corps agile. Je m’aperçois qu’il y a quelque chose de bizarre avec le sol. La texture n’est plus la même. On dirait que le bois est humide. Je m’en rends bien compte car le bruit de mes griffes sur le parquet est différent. C’est alors que je vois un beau vase en verre rose renversé sur le sol. Un bouquet de fleurs mortes y est encore contenu. Je m’approche prudemment et sens les fleurs séchées, des roses blanches, dont la plupart des pétales sont tombés au sol. J’avance vers l’embouchure du vase. Celle-ci est assez étroite en comparaison à la base bien ronde. À l’intérieur, je distingue un fond d’eau croupie et les reflets de la lumière à travers le verre colorée. Rien de bien intéressant…
Le canapé, lui, à l’air plus prometteur ! Des franges en tissu gris créent un rideau dissimulant la partie inférieure du meuble. Je m’approche et, en donnant des coups de museau, écarte les lourdes bandes pour me frayer un passage. La lumière parvient à crever l’obscurité en se faufilant à travers les franges. Quant à la poussière, je crois que le summum est atteint. Des amas de saletés, plus gros que moi, jonchent le parquet et dominent l’espace. Je commence mon exploration en les évitant tant bien que mal. La poussière, malgré mes précautions, s’accroche aux poils de mon ventre.
Les débuts de ma recherche sont infructueux. Je persévère. Le plafond est un mélange de tissu et de ressorts métalliques, sans doute pour soutenir les coussins au-dessus. Cette vue est très belle, avec ces droites et ces cercles brillants. Cela égaye la surface sale dans laquelle j’évolue. Je trouve enfin une miette, un peu moisie, certes, mais mangeable. Je l’agrippe et la dévore en quelques secondes.
Mon tour sous le canapé ne m’aura pas plus apporté que cette pauvre miette. Il n’y aura rien d’autre, à part les moutons de poussière géants.
Je franchis les épaisses franges à nouveau pour continuer ma visite de l’appartement. Il y a d’autres pièces à visiter et, surement, d’autres opportunités pour s’en mettre plein la panse !
Soudain, un bruit. Il vient de la pièce, c’est certain. Je m’arrête, et, immobile, me concentre sur les sons de la pièce. J’entends une respiration, juste au-dessus de moi. Je lève la tête et me trouve face à ce que j’avais craint en entrant dans l’appartement. Un chat, couché sur le canapé, me regarde de ses yeux jaunes. Je ne l’avais pas distingué auparavant car il est du même gris que les coussins sur lesquels il repose. Il bouge la tête et la passe par-dessus le rebord du meuble. Dans son regard ocre et cruel, je vois ses papilles se dilater. Il s’apprête à m’attaquer !
Je me mets à déguerpir, en prenant la direction du lave-linge. Mon odorat me guide. Je suis la piste de mon odeur. Derrière moi, j’entends le miaulement rauque du chat. La panique est totale. Il faut accélérer !
J’atteints enfin le gros cube métallique, le contourne et me faufile à nouveau dans le mur. C’est bon, je suis sauvé ! Le chat ne viendra jamais me récupérer ici.
De retour dans l’obscurité moite, contre la canalisation, je vais poursuivre mon exploration. Peut-être que d’autres appartements, recelant de bonnes choses à manger et sans félin dangereux, sont accessibles !
Le Chat
Il fait beau aujourd’hui. Le soleil cogne fort contre les fenêtres de la maison. Ce sont mes journées préférées. J’adore me mettre sur le plancher de bois et me prélasser là où le soleil tape, où la chaleur et la lumière sont les plus fortes. C’est ainsi que mes journées sont faites : me réveiller, descendre du canapé gris, retrouver mon bol de croquettes dans la cuisine, faire un tour dans la litière, faire ma toilette, dormir… puis recommencer.
Cet appartement est mon territoire. J’en connais les moindres recoins : la cuisine où je mange, la salle de bain où je me soulage, le salon où je dors et joue, puis la chambre des humains. Car oui, je vis avec un couple de bipèdes. Même si ce sont eux qui m’ont ramené quand j’étais un chaton, je dois admettre, en toute humilité, qu’ils ont vite compris qui était maître des lieux. Ils répondent au moindre de mes miaulements. Tôt le matin, je miaule dans leur chambre et ils me donnent à manger, puis, quand je miaule l’après-midi, ils me caressent. Bref, ils font tout ce que je leur demande. Je pourrais leur reprocher de rationner un peu trop mes croquettes mais bon… C’est difficile d’éduquer des humains quand on ne parle pas la même langue. Cependant, en ce moment, même la plus petite des rations de croquettes me conviendrait…
Cela faisait longtemps que je ne les avais pas vus. La dernière fois qu’ils étaient là, le mâle sortait des valises par la porte d’entrée tandis que la femelle me grattait la tête. Elle avait l’air soucieuse mais cela ne me perturbait pas plus que cela, tant qu’elle continuait à flatter mon crâne. La voix du mâle résonna des escaliers et elle me quitta, en claquant la porte.
Avant de partir, les humains avaient remplis les compartiments de ma gamelle. La partie pour la nourriture était étonnamment remplie à outrance par un amoncellement de croquettes. Et cela ne me posait pas de problème, loin de là ! Le compartiment de gauche contenait de l’eau à ras bord.
Je suis venu à bout de la gamelle en deux jours. Deux belles journées à me gaver et à dormir. J’avais tout l’appartement pour moi. Personne pour me reprocher de me faire les griffes sur les coussins, pour me prendre dans les bras et me trimballer… Une vraie vie de chat d’appartement ! Le temps pouvait cependant être long. Je m’amusais avec la poussière qui tourbillonnait dans les rayons du soleil, à travers la vitre. Hormis cela, peu de distractions venaient agrémenter mon quotidien. Alors je me baladais.
Les humains n’avaient pas pris soin de fermer les portes en partant. Je pouvais donc aller et venir à ma guise dans toutes les pièces. Je me promenais tellement que le sol était couvert de mes poils gris.
Le troisième jour d’absence de mes colocataires fut plus difficile à vivre. Je n’avais plus de nourriture. Bon je n’avais pas forcément faim non plus… J’étais plus triste de la distraction en moins que cela impliquait. J’avais encore un fond d’eau qui ne tarderait pas à s’épuiser. L’odeur de la litière commençait aussi à m’incommoder. Les humains ne l’avaient pas changée avant de partir et, donc, elle commençait à être très chargée. J’arrivais même à en sentir l’odeur depuis le salon…
Deux autres jours passèrent. Je le savais car le soleil et la lune, se succédèrent deux fois. Ma réserve d’eau était épuisée et j’avais soif… tellement soif ! Les poils que j’avalais en faisant ma toilette provoquaient une grande douleur dans ma gorge sèche. J’avais bien essayé d’aller dans la salle de bain car je sais qu’il y a ce grand pot, comme une sorte de litière pour humains, au fond duquel un peu d’eau repose. Malheureusement, un couvercle de plastique était posé dessus. Je n’avais pas assez de force pour le soulever.
Il n’y avait de l’eau nulle part ! Si cela continuait, j’allais mourir de soif ! En retournant sur mon canapé, je constatai le vase rose avec les fleurs, sur la table basse. Il y a forcément de l’eau à l’intérieur !
Je bondis alors sur la table et m’approchai du précieux récipient. En me dressant sur mes pattes arrière, je m’appuyai sur le rebord du vase. J’essayais de passer ma gueule dans l’embouchure, mais non seulement le trou était étroit mais en plus les fleurs me gênaient. C’est alors que, sous mon poids, me vase bascula et tomba par terre. Dans la chute, une trainée d’eau s’était répandue sur la table et le sol. Victoire ! Je me jetais alors sur la première flaque et étanchait cette soif intense. Quelle bonne sensation que de planter sa langue dans l’eau pour la faire couler dans ma gorge meurtrie.
La vie reprenait alors son cours. Les jours passaient et se ressemblaient avec ma routine quotidienne. Je me limais les griffes sur tous les meubles de la maison, en toute impunité. Je pensais régulièrement aux humains. Ils n’étaient jamais partis depuis aussi longtemps. J’avais très faim et leur en voulais de ne pas me servir en croquettes. Je me vengeais alors sur leur lit, en me roulant sur les oreillers et laissant des trainées de poils partout.
La litière devenait un vrai problème. L’odeur âcre de mes déjections embaumaient l’appartement. Je ne pouvais plus rien y enfouir et devais me soulager à même le sol de la salle de bain. Je détestais cela. Cette saleté qui s’amoncelait sur mon territoire n’était pas digne pour un chat propre comme moi. Malheureusement, je n’avais pas le choix. Au moins, je contenais tout cela dans la salle de bain… Même si on pouvait tout sentir dans chaque pièce de l’appartement !
Et puis, le drame est arrivé. L’eau du vase s’est asséchée. Plus la moindre goutte ne reposait ni sur la table basse, ni sur le parquet. Je montais alors sur les meubles afin de trouver un endroit avec de l’eau. Rien. Le vase était la seule option.
Et trois jours passèrent… Sans eau.
Mon corps s’est bien amaigri depuis le départ des humains. Déshydraté, j’ai beaucoup de difficultés à marcher. Tous les muscles de mes pattes sont endoloris. Le moindre mouvement est un supplice.
Je suis couché sur mon canapé depuis… Je ne sais même plus. Je dors, puis me réveille pour me rendormir. Plus aucune énergie ne m’anime. J’ai arrêté de chercher de l’eau. Il n’y a plus la moindre goutte nulle part. J’ai vérifié partout. Mon seul espoir : que les humains reviennent. Pourquoi ne sont-ils toujours pas là ?
La soif, la faim, la solitude sont mes seuls compagnons. Ceux qui m’accompagnent vers une issue de plus en plus certaine. Je me rends bien à l’évidence : si les humains ne reviennent pas, je vais mourir. Je crains que si je m’endors, je ne puisse me réveiller.
C’est alors que j’entends un bruit, ou plutôt un bruissement. Il provient d’en dessous de moi, sous le canapé.
Avec difficulté, j’ouvre les yeux et penche mon cou au-delà du rebord. Je la vois. Une petite souris qui vient de sortir et qui regarde, apeurée, autour d’elle.
Le rongeur se retourne et croise mon regard avant de déguerpir. En d’autres temps, je lui aurais couru après et en aurais fait ma collation. Mais, désormais, je ne peux plus bouger. La seule chose que je parviens à accomplir est un long miaulement triste. Je la vois disparaitre dans la cuisine, derrière la machine à laver.
Je repose ma tête avec lassitude sur le coussin. Quel goût aurait eu cette souris ? Cela fait bien longtemps que je n’en ai pas mangé. On en a rarement eu ici… Peut-être que je ne l’aurais pas mangée, après tout. Cela m’aurait fait un peu de compagnie après tous ces jours de solitude. Dommage.
Je regarde la porte d’entrée avec une peine immense. Où sont mes humains ? Pourquoi m’ont-ils laissé ? J’ai peut-être été trop exigeant avec eux. Avec un peu de chance, ils passeront le pas de la porte aujourd’hui et me donneront à boire et à manger. J’admets aussi que leur affection me manque. Quand ils me caressent et me grattent sous la gueule.
Du haut de mon canapé, je fixe la porte, attentif à tous les bruits. Il faut que je reste confiant. Les humains viendront me sauver.
J’attends encore, une minute, une heure, ou une éternité, dans la puanteur aigre de la salle de bain souillée. Et je m’endors de mon dernier sommeil, sur ce canapé, dans cet appartement, mon tombeau.